À l'heure où j'écris ces lignes, la manfestation de demain, samedi 8 décembre 2918, se prépare. Certain(e)s ont déjà prévu d'y aller, d'autres de ne pas y aller. Les images des lycéens de Mantes-la-Jolie ont fait le tour du pays, et un hommage leur a été rendu Place de la Réplique. L'escalade de violences policières semble indiquer que le gouvernement a quelque peu perdu les pédales, s'il ne les a jamais eues. À l'heure où j'écris ces lignes, à l'entrée de la nuit, difficile de détourner mon attention d'une actualité plus que jamais brûlante, impatiente, vivante. C'est pourtant le parti que nous avons choisi, à Hors-Série. Choisir le hors-temps, privilégier la parole longue, c'est aussi prendre le risque d'être en décalage. Mais c'est un risque que nous prenons avec entrain, car il nous permet d'aller au fond des choses, et de s'armer pour le présent, le futur, et parfois même le passé.

Dans cet entretien, Marie Buscatto nous offre des armes pour les trois. Relire l'histoire de la musique et des arts au prisme du genre, c'est s'apercevoir que l'histoire culturelle a été écrite du point de vue masculin, et que les femmes en ont été soigneusement évincées. On m'objectera que ce n'est pas un scoop, mais il n'est peut-être pas inutile de rappeler la domination persistante de ce point de vue à l'heure où l'on s'étonne de la présence en nombre de femmes dans les manifestations. Alors oui, des femmes, il y en a de plus en plus, dans tous les domaines artistiques, et dans la musique en particulier. Les multiples illustrations présentées dans la vidéo en témoignent. Cependant, nous prévient Marie Buscatto, notre œil est attiré par l'exception, et non par la règle. En définitive, être une femme musicienne en 2018, sauf dans le domaine classique, c'est être encore une exception. 

Être une femme dans la musique, sur scène ou dans le public, c'est encore être en proie à des obstacles auxquels n'ont jamais à faire face les hommes. C'est se demander si on n'aurait pas mieux fait de mettre un pantalon plutôt d'une jupe, ou l'inverse. C'est essuyer d'éternels et pesants soupçons d'incompétence ; passer inaperçue ou être trop visible, mais pour les mauvaises raisons ; éviter le regard de tel ou tel programmateur de peur de l'induire en erreur, et ainsi se priver d'une relation professionnelle potentiellement porteuse... Être une femme musicienne, c'est encore et toujours devoir se battre pour exister, et, quand par hasard on bénéficierait d'un coup de projecteur, aussitôt porter le fardeau de la "discrimination positive" — fardeau auquel cet entretien fait un sort. Bref, être une femme dans la musique à l'époque de #MeToo, c'est bien parce qu'on peut en parler plus facilement qu'avant, mais c'est quand même pas terrible, parce que rien n'a vraiment changé. 

Alors, quelles solutions pour le futur ? Marie Buscatto nous en livre quelques unes, mais on ne peut s'empêcher de penser que ce problème-là n'est qu'une facette d'un problème bien plus global, qui nous structure et qui nous dépasse, et que, peut-être, la marche de demain, dans toutes ses hésitations, ses confrontations, ses contradictions, contribuera à ébranler. 

Raphaëlle TCHAMITCHIAN

Bibliographie :

Marie Buscatto, Femmes du jazz, Paris, CNRS éditions, 2007

Marie Buscatto, Mary Leontsini, Delphine Naudier (dir.), Du genre dans la critique d'art, Archives contemporaines, 2017

Raphaëlle Tchamitchian, "Jazz[wo]men, la longue marche", conférence prononcée à Nevers le 17 novembre 2018, En ligne, URL : https://belettejazz.wordpress.com/2018/11/19/jazzwomen-la-longue-marche/