Blindtest #11
Diagonale Sonore
Frédéric Maurin
Raphaëlle Tchamitchian
Au début des années 1980, alors que Jack Lang règne sur la Culture, les politiques culturelles françaises s’ouvrent progressivement aux musiques non savantes (la chanson, le rock, le jazz, etc.) et à la culture populaire. Le jazz fait son apparition dans les conservatoires, donnant naissance à des générations successives de musicien-ne-s de mieux en mieux formées, de plus en plus pointues, qui succèdent aux jazzmen autodidactes ou formés par leurs pairs qui avaient fait les grandes heures des années 1960 et 1970 (Henri Texier, Martial Solal, plus tard Marc Ducret). Dans le sillage de ce qui a constitué à l’époque une certaine rupture, le ministère décide de doter le jazz, a.k.a la musique de la liberté, de sa propre institution. L’Orchestre National de Jazz (ONJ de son petit nom) fait son premier concert le 3 février 1986 au Théâtre des Champs-Élysées, devant Danielle Mitterand, Yvette Horner ou encore Simone de Beauvoir. Oxymore ? Récupération ? Force est de constater que l’ONJ suscite toujours autant de désirs, de fantasmes et de passions dans le petit monde du jazz français.
Élu sur appel à projet, le chef (il n’y a pas encore eu de cheffe, mais qui sait, peut-être que 2024 sera la bonne) est libre de constituer son orchestre avec les musicien-ne-s qui lui plaisent et de jouer sa propre musique. Au départ, le mandat durait un an, puis a été allongé à deux, puis trois et dure aujourd’hui quatre ans. Au fil des directions successives (François Jeanneau, Antoine Hervé, Claude Barthélemy, Denis Badault, Laurent Cugny, Didier Levallet, Paolo Damiani, Frank Tortiller, Daniel Yvinec, Olivier Benoit), le projet s’est doté de différents outils (studio de répétition, label), s’est de plus en plus ouvert sur l’extérieur (orchestre à géométrie variable, compositeur-ice-s invité-e-s) et a développé ses actions culturelles (concerts en prison, création d’un jeu sur les musiciennes de jazz à destination des collèges).
Après 14 ans à la direction du big band Ping Machine, le guitariste Frédéric Maurin prend la tête de l’ONJ en 2019, recrute pour la première fois (et à la demande du ministère) un orchestre paritaire, et lance des programmes autour d’Ornette Coleman, King Crimson, André Hodeir ou de la musique spectrale, ainsi qu’un projet jeune public (Dracula) et un orchestre des jeunes. Pas du jazz traditionnel donc, mais du jazz d’aujourd’hui, dans ce que cette musique a de plus essentiel à offrir : un désir de mélanges improvisés, une ouverture incessante sur l’inconnu, des combinaisons à l’infini entre ce qui est lui et ce qui n’est pas lui. Pour ce 11e blindtest, direction la guitare, le grand orchestre et une ou deux autres surprises en plus… Bonnes (re)découvertes !
Raphaëlle TCHAMITCHIAN