L'œil qui programme
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Jean-François Rauger
Conserver, montrer : c'est la mission que se donne la Cinémathèque Française depuis sa création par Henri Langlois et George Franju en 1935. Si le bien-fondé de cette institution n'est plus à remettre en question à une époque où l'idée du cinéma comme « 7ème art » est largement partagée par tout le monde, cela n'a pas toujours été le cas et il aura fallu en passer par toute une série d'étapes historiques, une guerre esthétique menée sur plusieurs fronts : la conservation des films, la critique cinématographique, les ciné-clubs. La Cinémathèque, adjointe au travail critique de la bande des « jeunes Turcs » aura été un des vecteurs essentiels de cette entreprise d'ennoblissement du cinéma. Car vouloir conserver et vouloir montrer, implique nécessairement que les objets en question méritent de l'être. En discutant avec Jean-François Rauger, directeur de la programmation depuis plus de vingt ans, on découvre un cinéphile soucieux de poursuivre le travail tout en étant au fait des risques encourus. Si les objectifs de la Cinémathèque restent sensiblement les mêmes, cela demande parfois que l'on se batte aussi contre un malentendu quant à sa fonction, se battre aussi contre son propre succès : aimer et « célébrer » le cinéma ne doit pas consister à le muséifer, démocratiser les grandes œuvres ne consiste pas à faire de la Cinémathèque un « dîner de gala » ou une flânerie culturelle. Difficile et fragile équilibre à trouver, dont les remèdes semblent être le cinéma lui-même et un retour aux fondamentaux : la dimension incompressible des films, l'unité du cinéma que voulait Langlois et que Rauger revendique encore et toujours, mais aussi et surtout, cet « œil qui jouit » par delà les époques, et toujours au présent.