Pornocratie
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Catherine Breillat
En préparant mon entretien avec Catherine Breillat, je suis retombée sur son passage chez Ruquier au moment de la promotion de son roman « Bad Love ». En face d'elle Zemmour et Naulleau font preuve d'une effroyable condescendance qui consiste en substance à dire « on vous connaît mais de là à voir vos films... ». En une réplique d'une effroyable bêtise, l'oeuvre de Catherine Breillat se retrouvait totalement atomisée.
C'est en soi un paradoxe, de voir Breillat côtoyer les talk-shows alors même que ses films ne sont pas vus. Ici le spectacle ne retient d'elle que ce qu'il veut bien retenir : l'aspect sulfureux, l'affaire Rocancourt. Cette présence médiatique, au lieu de servir son cinéma, le dissimule encore un peu plus derrière un vague parfum de scandale.
On est donc infiniment heureux de recevoir Catherine Breillat pour un entretien, qui plus est filmé, ne serait-ce que pour compenser voire étouffer cette condescendance en laissant le temps à la cinéaste de revenir sur son parcours et les grands motifs de sa filmographie. Au cours de cet entretien que j'ai pris un plaisir immense à préparer et à faire, on decouvre la parole d'une femme qui a traversé les décennies sans jamais dévier de sa ligne et qui n'a jamais cédé à l'esprit du temps - en ce sens, faire un entretien avec Breillat après avoir évoqué Garrel est très cohérent. Il y a chez Breillat une forme de fureur contenue, de grande virilité ainsi qu'un souci de choisir toujours le mot exact pour parler de ses films. Elle répond aux questions comme s'il s'agissait d'entrer en guerre contre les mots qu'elle déteste et qui ont peu à peu infecté la réception de son cinéma.
Peut-être que Breillat n'a jamais fait que ça : filmer des guerres, entre les hommes et les femmes. Il suffit de regarder la fin de chacun de ses films, c'est d'une implacable constance : il y en a toujours un qui gagne et un qui perd, un qui doit être éliminé pour que l'autre vive; cette violence des rapports est inédite dans le cinéma français.
Breillat a simplement interverti les termes : elle a traité les hommes comme les hommes ont pu traiter les femmes dans le cinéma français. Elle en a fait les objets du désir des femmes, donnant parfois le sentiment qu'ils sont le pur produit fantasmatique de la logorhée cérébrale et désirante de ses héroïnes.
Quant aux femmes, Breillat les arrache à l'érotisme (« un mot à eux » dit Breillat, en parlant des hommes), et cette extraction est nécessaire pour pouvoir enfin, après que le cinéma ait longtemps glissé et fétichisé leurs corps, entrer dans leurs crânes où le sexe se révèle être quelque chose de « mental ». Non pas chaud et sensuel, mais froid et pornographique.
Filmer le sexe comme s'il s'agissait d'extraire un morceau de cerveau féminin : c'est de la mise en scène mais c'est aussi de la politique. A ce titre, les films de Breillat nous rappellent quelque chose d'incroyablement libérateur à une époque où le cinéma français n'arrive plus très bien à mélanger fiction et politique et se vautre dans un traitement littéral et politiquement correct de ce qu'il considère être politique.
Avec son goût pour la provocation, Breillat semble avoir un certain penchant pour l'isolement (son cinéma serait hors-temps, hors-société, loin du féminisme) qui l'empêche peut-être d'apprécier le juste retentissement de son œuvre. Or en voyant des films comme « Nymphomaniac » ou encore « 50 shades of Grey », on se dit qu'un film comme « Romance », sorti en 1999, prophétisait brillamment les obsessions du cinéma (le plus commercial et le plus « artistique ») d'aujourd'hui.