Le franc-tireur du journalisme
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François Ruffin
Journaliste de gauche, j’ai un gros problème dans la vie. Comment dénoncer sans lasser. Sans me lasser aussi. Comment critiquer « le néolibéralisme », le « démantèlement de l’Etat social », prôner « la lutte » contre « le capital », sans susciter un énorme bâillement. A force d’être répétés, ces mots, pourtant pertinents, sonnent creux, perdent de leur efficacité.
Fakir, le journal que dirige François Ruffin depuis 1999 m’intéresse parce qu’il apporte des réponses à cette difficulté. Ce bimestriel basé à Amiens explore les dilemmes théoriques et stratégiques qui travaillent et souvent divisent la gauche, mais toujours en racontant une histoire, et toujours en partant des expériences concrètes et de la subjectivité de chacun. Le journal « fâché avec tout le monde ou presque » ne fait pas semblant de détenir la vérité « objective », ne se cache pas derrière le style « neutre » et policé qu’on apprend dans les écoles de journalisme. Mais au contraire, intègre les préjugés, les doutes et les échecs à l’intérieur du style et du récit. C’est un journalisme militant mais vivant, qui se gratte la tête pour réinventer une critique devenue trop souvent automatique et attendue.
Tout juste sorti en salles la semaine dernière, son film Merci Patron! en atteste : son journalisme ne s’arrête pas à l’écriture et à la diffusion d’articles, il s’inscrit dans des campagnes et des actions directes susceptibles d’atteindre un public plus large que celui des petits cercles militants habituels : une intrusion dans une assemblée générale du groupe Casino, la pose d’une plaque commémorative pour un jeune travailleur mort sur un chantier d’insertion de la ville, une machination pour faire cracher Bernard Arnault au bassinet.
Bref, dans un paysage médiatique saturé de bons « petits soldats du journalisme », comme il les appelle dans son premier ouvrage, savoir qu’un Fakir existe, persévère et même grandit, ça donne des armes pour « étonner la catastrophe. »