Faut pas mollir (partie 2)
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Jean-François Gallotte
Avant qu’on ne commence l’entretien, Jean-François Gallotte m’avait prévenue : il voulait parler de ce qu’il appelle la « glaciation » du cinéma français, son extrême bureaucratisation, son fonctionnement en vase clos qui conduirait selon lui à la mort de la petite production indépendante. J’avoue que je n’avais pas tellement travaillé le sujet. Je savais pourtant qu’en tant que réalisateur, Jean-François avait eu pas mal de soucis pour faire distribuer son dernier film, mais je n’avais pas vraiment prévu de m’attarder là-dessus… Erreur ! J’étais donc un peu prise au dépourvu quand il a abordé le sujet.
Voici donc quelques éléments d’information qui vous permettront de mieux saisir ce dont parle Jean-François Gallotte. Il s’agit ici d’une description sommaire du fonctionnement du financement du cinéma français.
Au centre du système de financement, on trouve le CNC (Centre National du cinéma), organisme public dont l’ancêtre avait été créé sous Vichy mais dont la forme actuelle et le rattachement au ministère de la Culture remonte à André Malraux.
L’argent du CNC, environ 783 millions d’euros en 2014, n’est pas à proprement parler de l’argent public. Il s’agit d’une taxe sur les billets d’entrée de l’ensemble des films projetés, à laquelle s’ajoute une taxe sur les abonnements des fournisseurs d’accès internet ainsi qu'une taxe sur les éditeurs et les distributeurs de la télévision. Sur ces 783 millions environ 322 millions vont au cinéma.
Cet argent est redistribué dans l’ensemble de la production cinématographique française par le biais d’aides de natures et de montants différents, selon des critères définis par le CNC. Le nombre de ces aides a fortement augmenté ces dernières années. On aide les films pour l’écriture, le développement, la réalisation, la musique, les effets spéciaux, le doublage etc. Pour attribuer ces aides, on compte pas moins de 47 commissions dont les membres sont essentiellement des gens de la profession (réalisateurs, producteurs, distributeurs, etc).
Il existe deux sortes de financements : les aides automatiques et les aides sélectives.
Les aides automatiques ne sont pas attribuées en fonction de critères qu’on pourrait qualifier de purement artistiques. Il s’agit pour chaque film de remplir un certain nombre d’exigences qui lui permettront d’obtenir le précieux sésame.
Le caractère extrêmement bureaucratique de l’organisation, avec des systèmes de barème, de points, de coefficients, demande de la part des producteurs et des réalisateurs des aptitudes moins artistiques que purement comptables et administratives. Il en va ainsi de l’agrément, le cauchemar de Jean-François Gallotte. Pour l’obtenir et se voir ainsi ouvrir les droits à l’aide du CNC, il faut que la production du film ait notamment été exemplaire en termes de contrats de travail et de tenue de comptes. L’un des buts affichés de ce système est de mieux protéger ceux qui travaillent sur un film, d’empêcher les abus de certains producteurs vis-à-vis de salariés précaires. Mais il a pour contrepartie d’empêcher certains films faits « à l’arrache » d’obtenir des aides et donc tout simplement de sortir sur les écrans. Des films sans budget, où la plupart des techniciens et des acteurs travaillent gratuitement ou en dessous du minimum syndical, et qui ne pourraient se faire si les conditions exigées par le CNC étaient respectées à la lettre (Voir à ce sujet notre émission avec Alain Guiraudie)
Les aides sélectives, elles, vont plutôt aller vers les films d’auteurs et les premiers films. Elles sont, la plupart du temps, attribuées à partir de la lecture du scénario. Les choix se font après délibération et vote des membres des commissions (parmi lesquels on trouve des producteurs, des réalisateurs, des distributeurs qui sont nommés chaque année). Leurs choix sont évidemment subjectifs mais le problème vient d’avantage des risques réels de conflits d’intérêts. En effet, mieux vaut, pour les producteurs et les réalisateurs qui demandent une aide, avoir quelques amis dans la commission ou encore mieux, carrément en faire partie...
C’est ce que dénonce Jean-François Gallotte. La commission d’aide à la distribution devant laquelle il avait présenté son film « Louise » en 2015, comptait parmi ses membres, Brigitte Sy, réalisatrice dont le film concourait également pour l’attribution de l’aide et a bénéficié d’une aide de 40 000 euros.
Alors certes, il y a des garde-fou : Brigitte Sy ne faisait sans doute pas partie du même collège que celui qui devant lequel son film était présenté (les membres de la commission sont répartis dans plusieurs collèges qui examinent différents films), elle n’a pas pu prendre part au vote concernant son propre film (la règle veut que ceux des membres qui ont un lien direct ou indirect avec l’un des films éligibles à une aide se retirent et ne prennent pas part au vote) mais on peut quand même difficilement exempter de tout soupçon de conflit d’intérêt un système dans lequel ceux qui demandent l’argent et ceux qui le donnent sont à un tel degré de proximité.
Je dois ici ajouter qu'il ne s'agit pas pour moi, au terme d'une enquête qui aurait sans doute mérité plus de temps, de porter un jugement entièrement négatif sur un système qui, quels que soient ses défauts, permet chaque année à de nombreux films d'auteurs français et étrangers de trouver leur chemin vers les spectateurs.
Les problèmes qui touchent le cinéma français sont nombreux et ne concernent pas tous le CNC (on peut notamment évoquer le trop grand poids des chaînes de télévision dans le financement des films).
Maja NESKOVIC