Lénine et la nation, entre guerre et révolution
En avant Marx
Stathis Kouvélakis et Matthieu Renault
Marina Garrisi
Août 1914. L’annonce de la Première Guerre mondiale éclate comme un coup de tonnerre. Lénine réside près Cracovie lorsqu’il apprend la nouvelle. Celle-ci n’a rien d’une surprise puisque le mouvement socialiste est depuis plusieurs années préoccupé par la perspective d’un conflit entre puissances impérialistes. Mais quand Lénine met la main sur la une du journal Vorwarts il ne peut pas en croire ses yeux : le groupe parlementaire socialiste du SPD, principale organisation de la Deuxième Internationale, vient de voter à l’unanimité le budget militaire allemand. Les socialistes qui, jusqu’alors, déclaraient que les ouvriers ne se feraient jamais la guerre entre eux, se rangent derrière leur bourgeoisie au nom de la défense nationale.
Pour Lénine, c’est moins l’incapacité des socialistes à empêcher la guerre ou à déclencher la révolution qui les rend coupables de trahison que leur participation à une guerre impérialiste qui ne sert que des buts réactionnaires et antiprolétariens. Dès lors, pour lui, plus de retour en arrière. Dès le mois de septembre 1914, Lénine proclame la « faillite » de la Deuxième Internationale. S’ouvre alors l’une des périodes les plus fascinantes de sa vie. Les mois qui suivent sont l’occasion d’une effervescence politique et théorique d’une rare intensité.
C’est à la recherche de ce qui se joue dans son cadre stratégique et théorique que nous partons pour ce nouvel épisode d’En avant Marx, avec les philosophes Stathis Kouvélakis et Matthieu Renault. Nous tentons en particulier de comprendre la rupture qui s’opère alors avec le mouvement socialiste et la Deuxième Internationale. Celle-ci n’est pas simplement politique, ni organisationnelle mais également théorique et stratégique. C’est à ce moment que Lénine rompt avec la conception étapiste et eurocentrée qui caractérisait le marxisme de la Deuxième Internationale. Dans ce mouvement de décentrement de la perspective révolutionnaire, Lénine en vient en particulier à changer son regard sur les luttes de libérations nationales. Ces dernières sont intégrées à son cadre stratégique et devienne un rouage essentiel et autonome de ce qu’il nomme désormais la révolution mondiale.
A l’heure où la guerre s’est à nouveau imposée dans le débat public, que les tensions impérialistes se ravivent et que la lutte du peuple palestinien pour se libérer de décennies d’occupation occupe le devant de la scène, Lénine s’avère d’une aide précieuse pour comprendre et intervenir aujourd’hui.
Marina GARRISI