Le moment Poulantzas de la gauche française ?
En avant Marx
Yohann Douet et Stathis Kouvélakis
Marina Garrisi
Ça faisait longtemps que me trottait l’idée d’organiser une émission sur Nicos Poulantzas. Voilà que la bien heureuse réédition de son dernier livre, L’Etat, le pouvoir, le socialisme (EPS), texte majeur, initialement publié en 1978 et tout récemment réédité aux éditions Amsterdam m’en a donné l’occasion.
Les raisons sont nombreuses de s’intéresser au travail de Nicos Poulantzas. La plus évidente, sans doute, c’est qu'il a considérablement enrichi notre conception marxiste de l’Etat, au point qu’il n’est pas rare qu’il soit présenté comme le dernier grand théoricien marxiste de l’Etat. Depuis son texte inaugural, Pouvoir politique et classes sociales, publié en 1968 aux éditions Maspero jusqu’à EPS, en passant par toutes ses interventions, livres et articles, Nicos Poulantzas travaille, en marxiste, à une théorie de l’Etat capitaliste, s’intéresse à la spécificité de la politique dans une société capitaliste par rapport aux autres sociétés de classe, analyse le rapport de l’Etat avec les classes dominantes et les classes dominées, décortique les différentes formes d’Etat d’exception. Ses textes, d’une densité théorique et conceptuelle comme on n’en a plus l’habitude, sont souvent exigeants, parfois même difficiles, mais sont toujours guidés par des préoccupations politiques, rythmés par les bouleversements d’une époque ambivalente, de la fin des années 68 à l’union de la gauche en France, en passant par la chute des dictatures en Grèce, au Portugal mais aussi par la terrible défaite du processus chilien.
Dans ce contexte, celui qui, à la fin de sa vie, se présentait lui-même comme un eurocommuniste de gauche reste associé à l’idée d’une « voie démocratique au socialisme démocratique ». Par cette formule (dont on comprendra au cours de l’entretien que la répétition du vocable « démocratique » n’a rien d’une redondance dans l’esprit de son auteur), Poulantzas cherche à dessiner une sorte de troisième voie, capable de surmonter la division classique entre réformistes et révolutionnaires, deux voies qu’il considère alors comme inopérantes pour penser la transformation sociale dans les pays occidentaux.
Et c’est sans doute pour cela que, malgré une postérité malheureuse en France (avant la réédition d’Amsterdam, aucun de ses textes n’était disponible en librairie !), le nom de Poulantzas est réapparu, ces dernières années, dans divers lieux de la gauche radicale. On le lit dans des tribunes politiques, on l’entend dans des colloques sur l’Etat, on le retrouve dans divers essais critiques. Chaque fois, cette référence me semble traduire une même préoccupation, un même désir : se frayer un chemin entre un réformisme mou auquel on ne croit plus et une voie révolutionnaire dont certains désespèrent qu’elle puisse arriver. Alors après le « vivre sans » du moment destituant diagnostiqué par Frédéric Lordon, en est-on venu au « moment Poulantzas » de la gauche française ?
De quoi ce retour de Poulantzas est-il le nom ? Et peut-il vraiment nous aider à affronter des questions aussi brûlantes que la spécificité de l’Etat dans société capitaliste, le développement de l’étatisme autoritaire, la prise du pouvoir ou encore l'affrontement avec l'État bourgeois ? C’est ce que nous tentons de déplier, en compagnie de deux philosophes marxistes, Stathis Kouvélakis et Yohann Douet, spécialistes de Marx, de Gramsci mais aussi de Poulantzas.
Marina GARRISI