Begaudaud que j'aime bien par ailleurs se laisse ici beaucoup trop emporter par son penchant théoriciste, largement déterminé par sa position de classe. Car, comme l'avait bien montré Bourdieu, l'intellectuel prend toujours le risque de céder au biais scolastique lorsqu'il cherche à penser le monde social, biais consistant à projeter sur les pratiques, dont les pratiques politiques (comme celle du vote) un rapport théorique à la pratique.
Pour dire les choses plus simplement, j'aimerais dire à M. Begaudaud que pour beaucoup de monde, notamment les quartiers populaires ou les musulmans par exemple, le rapport au vote répondait non pas à des logiques théoriques mais à des logiques tout à fait pratiques qui consistaient à jeter le poids de toutes leurs forces vers des discours qui leur seraient moins hostiles. La politique se construit en grande partie dans les discours, dans les mots et les mots d'ordres. Or, vous semblez sous-estimer les effets politiques des discours politiques, c'est à dire donc leurs aspects pratiques.
Bien-sur qu'il ne faut pas être dupe (merci M. Begaudaud), le vote ne changera pas grand chose aux structures fondamentales de l'ordre existant. Mais entre la révolution et rien, il y a disons 2 ou 3 trucs à faire. Par exemple, savez-vous ce que veut dire que se lever le matin en sachant que vous ne serez pas exposé à la menace de l'insulte du fait de votre nom, de votre couleur de peau, de votre religion, de votre sexe, etc.
Je reconnais c'est pas la Commune mais je vous assure que c'est un rapport pratique au monde qui vous le rend tout de même plus agréable. Et lorsque je parle d'insulte, je ne parle pas nécessairement de l'insulte bête et vulgaire, je parle de toutes celles qui peuvent prendre différentes formes, parfois chics et bienveillantes, et se manifester dans différents endroits de la vie sociale (sur des plateaux de télévision, à la radio, sur les réseaux sociaux, près d’un bar, à un dîner, au cours d’un contrôle de police ou au travail).
Alors, oui, voter peut avoir des incidences tout à fait concrètes pour des millions de gens. En l'occurence, Mélenchon au deuxième tour aurait été l'occasion d'une rupture épistémologique de grande ampleur, imposer à grande échelle un autre langage, une autre manière de penser et problématiser le monde. Ca aurait permis de faire basculer le centre de gravité du champ des discours politiques vers moins de violences et moins d'insultes pour toutes celles et ceux qui ont à les subir au quotidien. Comment interpréter autrement le vote des quartiers populaires ou des musulmans pour Mélenchon?
Je perçois ce qu'il y a de jouissif dans le fait de prendre le soin (et donc le temps, ce bien rare qui permet de s'abstraire des nécessités pratiques) de démonter mécaniquement les fondements mensongers des institutions, à commencer par celle du vote. Je trouve que votre propos a quelque chose du demi-habile de Pascal. Autrement dit, ne croyez pas que les gens sont aussi cons que vous l'imaginez. Votre propos, et votre plaisir à tenir ce genre de propos, ne me semble possible que parce qu'il est relativement protégé des effets pratiques du vote.
16/04/2022 - Dans le Texte - Comment s'occuper un dimanche d'élection
Begaudaud que j'aime bien par ailleurs se laisse ici beaucoup trop emporter par son penchant théoriciste, largement déterminé par sa position de classe. Car, comme l'avait bien montré Bourdieu, l'intellectuel prend toujours le risque de céder au biais scolastique lorsqu'il cherche à penser le monde social, biais consistant à projeter sur les pratiques, dont les pratiques politiques (comme celle du vote) un rapport théorique à la pratique.
Pour dire les choses plus simplement, j'aimerais dire à M. Begaudaud que pour beaucoup de monde, notamment les quartiers populaires ou les musulmans par exemple, le rapport au vote répondait non pas à des logiques théoriques mais à des logiques tout à fait pratiques qui consistaient à jeter le poids de toutes leurs forces vers des discours qui leur seraient moins hostiles. La politique se construit en grande partie dans les discours, dans les mots et les mots d'ordres. Or, vous semblez sous-estimer les effets politiques des discours politiques, c'est à dire donc leurs aspects pratiques.
Bien-sur qu'il ne faut pas être dupe (merci M. Begaudaud), le vote ne changera pas grand chose aux structures fondamentales de l'ordre existant. Mais entre la révolution et rien, il y a disons 2 ou 3 trucs à faire. Par exemple, savez-vous ce que veut dire que se lever le matin en sachant que vous ne serez pas exposé à la menace de l'insulte du fait de votre nom, de votre couleur de peau, de votre religion, de votre sexe, etc.
Je reconnais c'est pas la Commune mais je vous assure que c'est un rapport pratique au monde qui vous le rend tout de même plus agréable. Et lorsque je parle d'insulte, je ne parle pas nécessairement de l'insulte bête et vulgaire, je parle de toutes celles qui peuvent prendre différentes formes, parfois chics et bienveillantes, et se manifester dans différents endroits de la vie sociale (sur des plateaux de télévision, à la radio, sur les réseaux sociaux, près d’un bar, à un dîner, au cours d’un contrôle de police ou au travail).
Alors, oui, voter peut avoir des incidences tout à fait concrètes pour des millions de gens. En l'occurence, Mélenchon au deuxième tour aurait été l'occasion d'une rupture épistémologique de grande ampleur, imposer à grande échelle un autre langage, une autre manière de penser et problématiser le monde. Ca aurait permis de faire basculer le centre de gravité du champ des discours politiques vers moins de violences et moins d'insultes pour toutes celles et ceux qui ont à les subir au quotidien. Comment interpréter autrement le vote des quartiers populaires ou des musulmans pour Mélenchon?
Je perçois ce qu'il y a de jouissif dans le fait de prendre le soin (et donc le temps, ce bien rare qui permet de s'abstraire des nécessités pratiques) de démonter mécaniquement les fondements mensongers des institutions, à commencer par celle du vote. Je trouve que votre propos a quelque chose du demi-habile de Pascal. Autrement dit, ne croyez pas que les gens sont aussi cons que vous l'imaginez. Votre propos, et votre plaisir à tenir ce genre de propos, ne me semble possible que parce qu'il est relativement protégé des effets pratiques du vote.
posté le 16/04/2022 à 18h37