Abonnée depuis peu, je suis EXTREMEMENT DECUE par l'écoute de cet entretien. Outre l'absence de réflexion sociologique sur le mouvement et la pietre réflexion critique sur les conceptions essentiellement morales de l'antispécisme, je suis surtout choquée par la complaisance du journaliste. De la part d'un média que vous qualifiez vous même de "gauche radicale", il eut été nécessaire de pousser Jérôme Ségal dans ses retranchements sur des questions qui font débat dans les travaux sur le sujet (par exemple par jocelyne Porcher,"cause animale cause du capital"), notamment:
-le problème de l'amalgame encore et toujours perpétué entre élevage et productions animales industrielles
-la question sous jacente du rapport au transhumanisme si l'on considère que le modèle de la chaine alimentaire est critiquable et donc modifiable.
-La question complexe de la souffrance posée comme valeur morale non discutable. Doit on hiérarchiser les souffrances animales immédiates des souffrances induites par la crise écologique? Et pourtant, écologismes et antispécismes sont souvent en contradiction!Chaussures en cuir ou en plastique?déplacements en âne ou en bagnole? Régulation par la chasse ou perte des récoltes et de l'autonomie alimentaire locale?
-la question indispensable des modes de production alimentaire. Il est sidérant de laisser toujours les antispécistes parler de la viande comme d'un loisir dispensable et refuser de réfléchir aux questions de l'agriculture, de la paysannerie et des paysages. Que proposent ils?Est il acceptable que la question morale précède la question des solutions techniques?
-A l'évidence, parler d'agriculture obligerait à évoquer la question de l'impossibilité d'un modèle paysan sans animaux, du caractère indispensable de l'industrie pour parer à l'absence de fertilisation animale, de laine, de cuir, de traction animale, de B12... Et donc du caractère éminemment conflictuel des luttes antispécistes et anticapitalistes. Est il possible de proposer une alternative au modèle industriel sans élevage? Doit on attendre, comme pour la crise écologique, que le modèle de l'innovation capitaliste nous sauve de ce qu'il a lui même engendré?
-De la dépossession faramineuse que représenterait la perte du lien à l'animal pour tous ceux qui vivent encore au moins en partie de travail vivrier (élever ses poules, se déplacer à cheval, fabriquer soi même ses vêtement)
-De la violence (potentiellement encore impérialiste) que représente la promotion de modèles sans animaux comme "le bien" dans des pays/zones où l'agriculture est difficile, ou l'on se nourrit de pêche et d'élevage,où une petite paysannerie perdure dans ses compétences d'autonomie grâce au lien à l'animal.
-Enfin, des intérêts massifs des industriels face à la perspective de disparition de l'élevage et de développement de la viande in vitro. Il ne s'agit pas là d'un simple vegan washing bien pensant mais d'une opportunité rêvée d'enfin abandonner les aléas du vivant (bien trop peu maitrisable malgré les progrès zootechniques) et de justifier la main mise industrielle sur la production alimentaire. Les antispécistes seront ils tout aussi choqués de manger des aliments morts (au sens de...non issus de la vie) que de la viande? Quelle "gauche radicale" peut accepter d'être dépossédée à ce point de son rapport à la vie?
Enfin, le sang me monte à la tête quand, comme dans la grande majorité des cas d'entretiens sur ce thème, le journaliste finit par accepter qu'il serait bien en effet d'aller dans cette voie, mais que nous n'en somme peut être pas "encore" tous capables. Il semblerait que nous ayons "encore" besoin, à la gauche de la gauche, de déconstruire l'idée d'un progrès inéluctable de l'histoire en direction de l'émancipation de tous. L'histoire des luttes est chaotique, faite d'avancées et de rebours constants, mais aussi de contradictions réelles entre les luttes qui n'ont pas vocation à se résoudre.
Ce qui est sûr, c'est que cette lutte là ne contredit en rien le progrès de l'emprise industrielle sur nos vies et de nos dépossessions politiques.
18/07/2020 - Aux Sources - Histoire critique de l'antispécisme
Abonnée depuis peu, je suis EXTREMEMENT DECUE par l'écoute de cet entretien. Outre l'absence de réflexion sociologique sur le mouvement et la pietre réflexion critique sur les conceptions essentiellement morales de l'antispécisme, je suis surtout choquée par la complaisance du journaliste. De la part d'un média que vous qualifiez vous même de "gauche radicale", il eut été nécessaire de pousser Jérôme Ségal dans ses retranchements sur des questions qui font débat dans les travaux sur le sujet (par exemple par jocelyne Porcher,"cause animale cause du capital"), notamment:
-le problème de l'amalgame encore et toujours perpétué entre élevage et productions animales industrielles
-la question sous jacente du rapport au transhumanisme si l'on considère que le modèle de la chaine alimentaire est critiquable et donc modifiable.
-La question complexe de la souffrance posée comme valeur morale non discutable. Doit on hiérarchiser les souffrances animales immédiates des souffrances induites par la crise écologique? Et pourtant, écologismes et antispécismes sont souvent en contradiction!Chaussures en cuir ou en plastique?déplacements en âne ou en bagnole? Régulation par la chasse ou perte des récoltes et de l'autonomie alimentaire locale?
-la question indispensable des modes de production alimentaire. Il est sidérant de laisser toujours les antispécistes parler de la viande comme d'un loisir dispensable et refuser de réfléchir aux questions de l'agriculture, de la paysannerie et des paysages. Que proposent ils?Est il acceptable que la question morale précède la question des solutions techniques?
-A l'évidence, parler d'agriculture obligerait à évoquer la question de l'impossibilité d'un modèle paysan sans animaux, du caractère indispensable de l'industrie pour parer à l'absence de fertilisation animale, de laine, de cuir, de traction animale, de B12... Et donc du caractère éminemment conflictuel des luttes antispécistes et anticapitalistes. Est il possible de proposer une alternative au modèle industriel sans élevage? Doit on attendre, comme pour la crise écologique, que le modèle de l'innovation capitaliste nous sauve de ce qu'il a lui même engendré?
-De la dépossession faramineuse que représenterait la perte du lien à l'animal pour tous ceux qui vivent encore au moins en partie de travail vivrier (élever ses poules, se déplacer à cheval, fabriquer soi même ses vêtement)
-De la violence (potentiellement encore impérialiste) que représente la promotion de modèles sans animaux comme "le bien" dans des pays/zones où l'agriculture est difficile, ou l'on se nourrit de pêche et d'élevage,où une petite paysannerie perdure dans ses compétences d'autonomie grâce au lien à l'animal.
-Enfin, des intérêts massifs des industriels face à la perspective de disparition de l'élevage et de développement de la viande in vitro. Il ne s'agit pas là d'un simple vegan washing bien pensant mais d'une opportunité rêvée d'enfin abandonner les aléas du vivant (bien trop peu maitrisable malgré les progrès zootechniques) et de justifier la main mise industrielle sur la production alimentaire. Les antispécistes seront ils tout aussi choqués de manger des aliments morts (au sens de...non issus de la vie) que de la viande? Quelle "gauche radicale" peut accepter d'être dépossédée à ce point de son rapport à la vie?
Enfin, le sang me monte à la tête quand, comme dans la grande majorité des cas d'entretiens sur ce thème, le journaliste finit par accepter qu'il serait bien en effet d'aller dans cette voie, mais que nous n'en somme peut être pas "encore" tous capables. Il semblerait que nous ayons "encore" besoin, à la gauche de la gauche, de déconstruire l'idée d'un progrès inéluctable de l'histoire en direction de l'émancipation de tous. L'histoire des luttes est chaotique, faite d'avancées et de rebours constants, mais aussi de contradictions réelles entre les luttes qui n'ont pas vocation à se résoudre.
Ce qui est sûr, c'est que cette lutte là ne contredit en rien le progrès de l'emprise industrielle sur nos vies et de nos dépossessions politiques.
posté le 20/11/2021 à 01h32