Je vous envie Maja, vous vivez dans un monde merveilleux, où les différences entre hommes et femmes sont presque complètement effacées, à l'exception des différences de salaires (mais l'argent n'a jamais fait le bonheur, on le sait). Dans ce monde merveilleux qui est le vôtre, vous n'effectuez pas deux fois plus de tâches ménagères que votre compagnon ; vous ne vous faites jamais couper la parole par un interlocuteur parce qu'il s'estime a priori plus compétent que vous ; d'ailleurs vos compétences ont toujours été reconnues à leur juste valeur, à l'école d'abord, où vous avez pu faire de brillantes études scientifiques, puis à l'extérieur, où vous avez développé une passion pour les sports extrêmes, car aucun domaine de l'aventure sociale ne vous a jamais été déconseillé ; d'une manière générale, vous n'avez jamais été victime de violences physique ou morale pouvant trouver une origine dans l'idée qu'on se fait de vous en tant que femme ; vous ne pensez jamais à la possibilité de vous faire violer quand vous rentrez seule à pied à une heure tardive ; d'ailleurs quelle que soit la tenue que vous portez pour sortir vous ne subissez jamais de regards et de paroles déplacées. Ha c'est trop le pied votre monde, Maja ! Je ne regrette qu'une chose : qu'il ne soit pas aussi le mien.
Dans le monde qui est le mien, il existe encore de grosses différences entre les hommes et les femmes. D'ailleurs, quand je lance votre émission, j'identifie tout de suite : à gauche un homme, à droite une femme, et pourtant tous les deux portent des pantalons. Que le genre soit immédiatement reconnaissable dans l'apparence physique, sans qu'il soit nécessaire de déshabiller les gens, il me semble que c'est un signe que les catégories ne sont pas si estompées.
Q'un intellectuel médiatisé, et qui par ailleurs a des idées fort intéressantes, puisse soutenir que :
« dans un couple les conflits sont plus fréquents du moment que la différence homme/femme est moins reconnue. A partir du moment où il y a une forme d'étrangeté entre les hommes et les femmes, il va y avoir un certain nombre d'incompréhensions à l'intérieur d'un couple qui vont être acceptées (pour la femme : les hommes sont comme ça / pour l'homme : les femmes sont comme ça). Tout ça c'est un discours qui est repris socialement et qui va faire admettre que le couple c'est pas le paradis, parce que c'est la coexistence de deux étranges animaux qui ne sont pas fait pareil », c'est juste affligeant ! Comment peut-on dire qu'on va réduire les conflits en acceptant les incompréhensions et l'étrangeté, alors que c'est justement là-dedans que s'enracinent les conflits, et qu'ils ne peuvent se réduire qu'avec un effort de compréhension et d'empathie ?? Quant au fameux « Les femmes sont comme ci (sentimentale, hystérique, pulsionnelle, gourmande, bavarde, etc) et les hommes sont comme ça (autoritaire, rationnel, sportif, etc) » ça porte un nom : on appelle ça des clichés. Acceptons les clichés ! Affirme l'intellectuel. Devenons les clichés, vivons à travers les clichés, au moins on saura pourquoi on a une vie de merde. Je sais pas vous, Maja, mais moi ça me tente moyennement.
A ce stade de l'émission, j'ai vraiment eu l'impression d'avoir mis les pieds dans un conciliabule de gros réacs. Mais heureusement, Olivier Rey clôt le sujet en nuançant. : « Ce que souhaiterait Illich, c'est une grande démonétarisation de la vie. Si les femmes n'imaginent l'amélioration de leur sort qu'en faisant comme les hommes dans la monétarisation totale de la vie, leur émancipation s'achète au prix de l'incarcération de tout le monde dans cette économie monétaire. » Soit, voilà qui me parle plus. Mais je ne comprends pas que l'intellectuel ne voit pas le fil rouge qui relie la lutte contre l'enfermement dans le genre et la lutte contre l'enfermement dans un système capitaliste. Il a pourtant sûrement déjà entendu parler du « gender marketing », par exemple (les jouets roses pour les filles et bleu pour les garçons, principe qui permet de faire acheter deux choses là où une pourrait suffire).
Pourquoi penser que l'effacement des genres mènent à l'indifférenciation ? Pourquoi ne pas penser, au contraire, que le fait de supprimer ces deux catégories simplistes pourrait nous amener à voir la multitude de différences qui constituent l'être humain (oups, j'ai dit un gros mot!) ? Au passage, Maja, relisez René Girard et sa passionnante théorie du désir mimétique, qu'il a développé dans « Mensonge Romantique et Vérité romanesque ». Ce n'est pas « l'uniformisation amène à la guerre, à la violence, et la menace c'est le mimétisme », c'est plutôt « on imite les désirs des gens qu'on admire (les médiateurs), au plus on les admire au plus on les imite, au plus on les imite au plus on leur ressemble, et au plus on leur ressemble au plus on risque de rentrer en conflit avec eux ». Il n'est pas certain que le rétablissement du genre comme catégorie intangible règle ce problème, il serait mieux avisé de prendre conscience de l'origine de nos désirs et de mieux choisir nos médiateurs.
posté le 07/06/2015 à 00h07
( modifié le 07/06/2015 à 00h10 )
06/06/2015 - Aux Sources - Une question de taille
Je vous envie Maja, vous vivez dans un monde merveilleux, où les différences entre hommes et femmes sont presque complètement effacées, à l'exception des différences de salaires (mais l'argent n'a jamais fait le bonheur, on le sait). Dans ce monde merveilleux qui est le vôtre, vous n'effectuez pas deux fois plus de tâches ménagères que votre compagnon ; vous ne vous faites jamais couper la parole par un interlocuteur parce qu'il s'estime a priori plus compétent que vous ; d'ailleurs vos compétences ont toujours été reconnues à leur juste valeur, à l'école d'abord, où vous avez pu faire de brillantes études scientifiques, puis à l'extérieur, où vous avez développé une passion pour les sports extrêmes, car aucun domaine de l'aventure sociale ne vous a jamais été déconseillé ; d'une manière générale, vous n'avez jamais été victime de violences physique ou morale pouvant trouver une origine dans l'idée qu'on se fait de vous en tant que femme ; vous ne pensez jamais à la possibilité de vous faire violer quand vous rentrez seule à pied à une heure tardive ; d'ailleurs quelle que soit la tenue que vous portez pour sortir vous ne subissez jamais de regards et de paroles déplacées. Ha c'est trop le pied votre monde, Maja ! Je ne regrette qu'une chose : qu'il ne soit pas aussi le mien.
Dans le monde qui est le mien, il existe encore de grosses différences entre les hommes et les femmes. D'ailleurs, quand je lance votre émission, j'identifie tout de suite : à gauche un homme, à droite une femme, et pourtant tous les deux portent des pantalons. Que le genre soit immédiatement reconnaissable dans l'apparence physique, sans qu'il soit nécessaire de déshabiller les gens, il me semble que c'est un signe que les catégories ne sont pas si estompées.
Q'un intellectuel médiatisé, et qui par ailleurs a des idées fort intéressantes, puisse soutenir que :
« dans un couple les conflits sont plus fréquents du moment que la différence homme/femme est moins reconnue. A partir du moment où il y a une forme d'étrangeté entre les hommes et les femmes, il va y avoir un certain nombre d'incompréhensions à l'intérieur d'un couple qui vont être acceptées (pour la femme : les hommes sont comme ça / pour l'homme : les femmes sont comme ça). Tout ça c'est un discours qui est repris socialement et qui va faire admettre que le couple c'est pas le paradis, parce que c'est la coexistence de deux étranges animaux qui ne sont pas fait pareil », c'est juste affligeant ! Comment peut-on dire qu'on va réduire les conflits en acceptant les incompréhensions et l'étrangeté, alors que c'est justement là-dedans que s'enracinent les conflits, et qu'ils ne peuvent se réduire qu'avec un effort de compréhension et d'empathie ?? Quant au fameux « Les femmes sont comme ci (sentimentale, hystérique, pulsionnelle, gourmande, bavarde, etc) et les hommes sont comme ça (autoritaire, rationnel, sportif, etc) » ça porte un nom : on appelle ça des clichés. Acceptons les clichés ! Affirme l'intellectuel. Devenons les clichés, vivons à travers les clichés, au moins on saura pourquoi on a une vie de merde. Je sais pas vous, Maja, mais moi ça me tente moyennement.
A ce stade de l'émission, j'ai vraiment eu l'impression d'avoir mis les pieds dans un conciliabule de gros réacs. Mais heureusement, Olivier Rey clôt le sujet en nuançant. : « Ce que souhaiterait Illich, c'est une grande démonétarisation de la vie. Si les femmes n'imaginent l'amélioration de leur sort qu'en faisant comme les hommes dans la monétarisation totale de la vie, leur émancipation s'achète au prix de l'incarcération de tout le monde dans cette économie monétaire. » Soit, voilà qui me parle plus. Mais je ne comprends pas que l'intellectuel ne voit pas le fil rouge qui relie la lutte contre l'enfermement dans le genre et la lutte contre l'enfermement dans un système capitaliste. Il a pourtant sûrement déjà entendu parler du « gender marketing », par exemple (les jouets roses pour les filles et bleu pour les garçons, principe qui permet de faire acheter deux choses là où une pourrait suffire).
Pourquoi penser que l'effacement des genres mènent à l'indifférenciation ? Pourquoi ne pas penser, au contraire, que le fait de supprimer ces deux catégories simplistes pourrait nous amener à voir la multitude de différences qui constituent l'être humain (oups, j'ai dit un gros mot!) ? Au passage, Maja, relisez René Girard et sa passionnante théorie du désir mimétique, qu'il a développé dans « Mensonge Romantique et Vérité romanesque ». Ce n'est pas « l'uniformisation amène à la guerre, à la violence, et la menace c'est le mimétisme », c'est plutôt « on imite les désirs des gens qu'on admire (les médiateurs), au plus on les admire au plus on les imite, au plus on les imite au plus on leur ressemble, et au plus on leur ressemble au plus on risque de rentrer en conflit avec eux ». Il n'est pas certain que le rétablissement du genre comme catégorie intangible règle ce problème, il serait mieux avisé de prendre conscience de l'origine de nos désirs et de mieux choisir nos médiateurs.
posté le 07/06/2015 à 00h07 ( modifié le 07/06/2015 à 00h10 )