Spring Breakers
Dans Le Film
Jean-François Rauger
Murielle Joudet
Soyons prudents, et ne parlons pas de Spring Breakers comme d'un film incompris, mais plutôt comme d'un film qui a déchaîné les passions, divisé la critique et le public en deux. C'est peut-être tout ce qu'on demande au cinéma : cette subite explosion discursive où tout le monde a joyeusement son mot à dire, même si certains arguments contre le film sont grotesques.
Vrai faux teen-movie, vraie fausse célébration de la jeunesse, vraie fausse critique de cette même jeunesse et de son indigence. Spring Breakers est un peu tout ça à la fois comme nous l'explique très bien Jean-François Rauger, comme d'autres grands films sont toujours un peu tout ça en même temps, un peu tout ce qu'on a envie d'y mettre. Lorsque je l'ai vu la première fois au cinéma, dans une grande salle bondée d'adolescents, le film me semblait totalement imparfait, avec des creux et des bosses, assez ennuyeux sur sa deuxième partie, et pourtant il était évident à mes yeux que c'était un film très important.
Important dans un sens très précis ; au sens où quelque chose d'absolument nouveau arrivait : à la lumière, au montage, aux dialogues, à la bande son. Tout était neuf, imparfait mais absolument neuf, comme si Spring Breakers nous invitait à nous reconfigurer pour le comprendre, comme s'il dessinait quelque chose de l'avenir du cinéma, ou comme si du moins cette nouveauté fragile, incertaine, dérangeante esquissait vaguement les contours du cinéma que l'on souhaite voir dans cinq ans, dans dix ans. C'est un sentiment extrêmement rare au cinéma, vous le savez tous aussi bien que moi. Un sentiment absolument mitigé : on ne sait pas ce qu'on a vu, on peut relever la liste des défauts objectifs, mais on reste persuadé que le geste est une leçon pour la suite.
La dernière fois que j'ai ressenti cela c'était devant Elle de Paul Verhoeven, sorti l'année dernière : même stupéfaction, même énumération des défauts, même certitude que c'est un film absolument génial. Et les films géniaux ne sont pas parfaits, ils sont fous, monstrueux, fatigants. Le temps leur passera dessus et ils acquerrront la pureté du geste, la sérénité du grand film.
A un moment de l'émission, on se permet de comparer Spring Breakers à Showgirls du même Verhoeven. Le destin des deux films est assez comparable et on peut tout à fait dire de Spring Breakers qu'il est un film verhoevenien, qui jouit de ce qu'il semble détester. C'est une leçon pour les donneurs de leçons, pour les Haneke en herbe qui aiment prodiguer des fessées à leur public, à ces cinéastes qui n'ont jamais compris que la morale pouvait prendre une autre forme que celle du pensum, de la démonstration mathématique : une morale qui n'est jamais dénonciatrice, jamais froide, mais malicieuse, rieuse, c'est presque un paradoxe mais aussi, un peu tarée. Une morale qui comprend que le cinéma n'est pas là pour "dénoncer", pour ça il y a beaucoup d'autres moyens, mais pour prélever un suc poétique à partir de tout, même de ce qu'il a en horreur.