Chili : la mémoire du futur
Aux Sources
Pierre Dardot
En ce début de XXIème siècle, la plupart des pays latino-américains basculent à gauche. Le Chili, lui, semble à l’écart, comme figée dans le temps. Qu’il parait loin le temps de l’Unité populaire et des espérances révolutionnaires. Depuis la dictature d’Augusto Pinochet et malgré le retour de la démocratie, il règne un ordre néolibéral impitoyable. Socialement, le pays est en lambeaux. Tout ou presque a été bradé au privé. De l’éducation à l’eau en passant par le système de retraite, aucun domaine n’échappe à la voracité des investisseurs dans un pays devenu un gigantesque marché. Parallèlement, la Constitution entré en vigueur en 1980 sous le régime militaire a mis en place toute une série « d’enclaves autoritaires » qui cadenasse le système et empêche tout véritable changement.
Mais dans un pays marqué par une tradition ouvrière et rythmé par les contestations sociales, il suffisait d’une petite étincelle pour que le pays s’embrase. Ce « réveil chilien », Pierre Dardot le qualifie volontiers de révolution. Les scènes de liesse, de fraternisation où le drapeau mapuche et chilien étaient brandis par les manifestants démontre cette volonté de se (re)constituer en démos, de s’ériger en communauté politique délibérative face à un néolibéralisme qui atomise les individus, brise le lien social et étouffe toute vie démocratique.
En face, le pouvoir s’en remet à la répression. Un sénateur chilien justifie d’ailleurs la brutalité du maintien de l’ordre en prenant exemple…sur la France des Gilets Jaunes. C’est ensuite le Covid qui sert de prétexte à la reprise en main de l’Etat. La révolte chilienne subit de plein fouet une logique de criminalisation et de guerre civile typique de la stratégie néolibérale. Qu’à cela ne tienne. Le peuple chilien ne désarme pas. Il exige et obtient l’élection d’une Assemblée Constituante. La nouvelle constitution, soumise à référendum le 4 septembre 2022, est finalement rejetée à une large majorité. Pourtant, le texte consacrait de nouveaux droits, reconnaissait le caractère plurinational de l’Etat chilien et tournait la page du cauchemar néolibéral. Comment expliquer un tel retournement de situation ? Doit-on voir dans le Rechazo (rejet) la main invisible d’une majorité silencieuse ?
Revenant sur ces trois années qui ont bouleversé le pays, Pierre Dardot nous livre une passionnante histoire du temps sur un pays dont l’histoire est décidément riche en enseignements.
Tarik BOUAFIA